Le syndrome d’alcoolisation fœtale
Consommer de l’alcool pendant la grossesse a un effet toxique pour le fœtus et peut entraîner diverses manifestations connues sous le terme de troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Le syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) est en la forme la plus sévère.
Ce qu’est le syndrome d’alcoolisation fœtale
Le syndrome d'alcoolisation fœtale fait partie d'un ensemble de troubles liés à l’exposition à l’alcool pendant la grossesse, notamment des anomalies crânio-faciales mineures, des retards de croissance, des anomalies neurologiques, des troubles cognitifs et comportementaux et des malformations congénitales. Ces troubles sont regroupés sous le terme générique d'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale (TCAF).
Cinq troubles au total composent l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale. Il s'agit du syndrome d'alcoolisation fœtale (SAF), du syndrome d'alcoolisation fœtale partielle (SAFp), du trouble du développement neurologique lié à l'alcool (TNDLA), du trouble neurocomportemental associé à l'exposition prénatale à l'alcool (TND-AE) et des anomalies congénitales liées à l'alcool (ACLA).
Les TCAF peuvent prendre de nombreuses formes cliniques allant de la forme complète : le SAF (dysmorphie faciale, retard de croissance, malformations d’organes et retard mental) à des formes incomplètes (difficultés d’apprentissage, troubles du comportement, troubles de l'auto-contrôle et des facultés d’adaptation sociale). Une personne atteinte de TCAF est susceptible d’avoir, au cours de sa vie d’enfant et d’adulte, des problèmes de santé, à l’école et des problèmes sociaux (marginalisation sociale) et avec la justice.
Les troubles causés par l'alcoolisation fœtale sont l'une des principales causes évitables de déficience intellectuelle, de malformations congénitales et de troubles du développement neurologique aux États-Unis (1)
Epidémiologie du syndrome d’alcoolisation fœtale
Les recherches épidémiologiques indiquent que le TCAF est un problème mondial. Les estimations initiales de la prévalence du SAF allaient de 0,5 à 7 pour 1000 naissances vivantes. De récentes analyses systématiques de la littérature comprenant de multiples méta-analyses ont rapporté des estimations allant de 0,11 à 55,42 pour 1000 pour le SAF (2) (3) Il existe de grandes différences régionales, le SAF pouvant atteindre 11,1% en Afrique du Sud et de faibles pourcentages dans les pays où l'alcool est interdit par la religion.
La consommation excessive d'alcool chez les femmes en âge de procréer reste un problème mondial et augmente même dans certains pays. (2)
Alcool, tératogène et neurotoxique pour le fœtus
Le placenta ne filtre pas l’alcool. Tout l’alcool consommé passe donc directement du sang de la mère à celui du fœtus. Le taux d’alcoolémie est identique chez la mère et le fœtus sans gradient de diffusion. Contrairement à la mère, en raison de son immaturité hépatique, le fœtus est dans l’incapacité de métaboliser l’éthanol et de se détoxiquer. L’alcool diffuse donc dans tous les tissus fœtaux à la même concentration que l’alcoolémie maternelle.
L’effet toxique de l’alcool est double : tératogène en période embryonnaire et neurotoxique puissant tant chez l’embryon que chez le fœtus, tout au long de la gestation.
L'alcool est un tératogène qui provoque des dommages irréversibles au système nerveux central (SNC). Ces dommages sont étendus provoquent non seulement une diminution du volume du cerveau mais aussi des dommages aux structures cérébrales. Un certain nombre d'anomalies structurelles du cerveau ont été observées dans des études d'imagerie chez les animaux et les sujets humains atteints de troubles causés par l’alcoolisation fœtale. L’exposition prénatale à l'alcool affecte tous les stades du développement du cerveau par le biais de divers mécanismes. L'exposition in utero à l'alcool aurait un impact négatif sur une multitude de domaines cognitifs, notamment l'intelligence générale globale, la fonction motrice, les niveaux d'attention et d'activité, le développement du langage, la fonction exécutive, la perception et la construction visuelles, l'apprentissage et la mémoire, et le fonctionnement adaptatif. La diminution du QI est l'un des résultats les plus fréquemment rapportés en relation avec l'exposition prénatale à l'alcool (4). Les estimations des scores moyens de QI pour les personnes atteintes du SAF vont d'environ 68 à 79.
Si les données montrent que le cerveau est l'organe le plus gravement touché, l'exposition prénatale à l'alcool provoque également plusieurs anomalies au niveau du cœur, des reins, du foie, du tractus gastro-intestinal et du système endocrinien. (5)
Des anomalies crânio-faciales sont aussi une des conséquences du Syndrome d’alcoolisation fœtale. Les signes spécifiques au niveau du visage sont des fentes palpébrales raccourcies, un sillon naso-labial lisse, allongé, effacé et une lèvre supérieure mince. Cependant, les caractéristiques dysmorphiques sont cliniquement détectables dans une minorité de cas seulement.
En outre, l'exposition prénatale à l'alcool présente un taux de comorbidité élevé avec d'autres troubles de l'apprentissage et du comportement. (6)
Selon la période d’alcoolisation pendant la grossesse, les conséquences ne sont pas les mêmes. Au premier trimestre, elle a pour conséquence des dysmorphies crânio-faciales, une atteinte des organes, muscles et squelette, aux deuxième et troisième trimestres, une aggravation de l’hypotrophie, des troubles du comportement, un retard mental. Les effets sur le système nerveux central dépendent également du moment d’exposition à l’alcool : au premier trimestre : désorganisation sévère, au deuxième trimestre hétérotopies et dysgénésies corticales et au troisième trimestre des lésions de destruction de la substance blanche.
Une relation dose-effet mais pas de risque zéro
La gravité du TCAF dont le syndrome d’alcoolisation fœtale peut dépendre du niveau, du mode et du moment de l'exposition prénatale à l'alcool avant et pendant la grossesse. (7) ainsi que d'autres facteurs tels que l'état nutritionnel de la mère (par exemple, l'apport en vitamines ou en minéraux), les facteurs environnementaux (par exemple, les relations sociales, le stress), l'âge de la mère et la constitution génétique. (8) Deux revues systématiques de la littérature ont rapporté des associations entre le niveau d'exposition à l'alcool et les effets négatifs sur le développement de l'enfant. Les deux revues montrent les effets négatifs d'une plus grande consommation d'alcool (consommation quotidienne d'alcool jusqu'à quatre verres ou plus par occasion avant et pendant la grossesse). (9) (10)
Il a été montré dans des études animales et humaines que le binge drinking (=boire 3-5 verres ou plus par occasion) était le plus préjudiciable au développement du fœtus. (11)
Les recherches menées depuis quatre décennies sur les animaux et les humains n'ont pas permis d'établir un niveau sûr d’exposition prénatale à l’alcool, ce qui a conduit à l'apposition d'étiquettes d'avertissement sur les boissons alcoolisées et à des recommandations officielles de la part des gouvernements et des organisations professionnelles. (12)
Diagnostic du Syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) et traitement
Les critères de diagnostic du SAF sont un retard de croissance, une dysmorphie faciale (espace entre le nez et le menton plus lisse, lèvre supérieure très fine et fentes oculaires étroites), un retard staturo-pondéral, des anomalies du développement du système nerveux central, des troubles cognitifs et comportementaux. Une exposition prénatale à l’alcool renforce le diagnostic mais le SAF peut être diagnostiqué sans ces antécédents lorsque tous les critères diagnostiques spécifiques du SAF sont remplis. Faire le diagnostic d’un Syndrome d’alcoolisation fœtale implique également qu'une reconstitution de l’historique de la grossesse ait permis de documenter toute autre exposition in utero à des substances, y compris le tabac, les médicaments ou les substances illicites, et que d'autres étiologies génétiques et environnementales possibles aient été exclues. Le diagnostic du SAF reste difficile en raison de la faible fiabilité des antécédents de consommation d'alcool des mères, de l'absence de biomarqueurs sensibles et de la rareté des dysmorphies faciales diagnostiquées chez les personnes atteintes de troubles causés par l'alcoolisation fœtale. (13)
Il n’existe pas de traitement spécifique des troubles causés par l'alcoolisation fœtale (TCAF). Les traitements sont en lien avec les troubles neurodéveloppementaux ou les troubles du comportement de l’enfant. Des essais prometteurs d'interventions nutritionnelles et de thérapies de réhabilitation cognitive sont en cours dans le but de traiter les déficits cognitifs dans les troubles de l'alcoolisation fœtale. (13)
Prévention du syndrome d’alcoolisation fœtale
Les auteurs d’une méta-analyse récente sur les troubles causés par l'alcoolisation fœtale concluent sur le fait que des efforts doivent être faits pour éduquer toutes les femmes en âge de procréer sur les effets néfastes potentiels de l'exposition prénatale à l'alcool sur le développement du fœtus. Leur avis est que les professionnels de la santé sont les mieux placés pour le faire. Ceux-ci pourraient ainsi poser des questions sur la consommation d’alcool et d'autres tératogènes potentiels pendant la grossesse car les femmes qui abusent de drogues sont plus susceptibles de consommer de l'alcool pendant la grossesse. Ils estiment également que l’élaboration d'un protocole de dépistage universel pour détecter une consommation problématique d'alcool avant et pendant la grossesse est une stratégie potentiellement peu coûteuse qui peut être largement mise en œuvre. (14)
(1) Williams JF, Smith VC, Committee On Substance A. Fetal Alcohol Spectrum Disorders. Pediatrics 2015; 136(5): e1395–406
(2) Popova S, Lange S, Probst C, et al. . Estimation of national, regional, and global prevalence of alcohol use during pregnancy and fetal alcohol syndrome: a systematic review and meta-analysis. Lancet Glob Health 2017;5:e290–e299. 10.1016/S2214-109X(17)30021-9 [PubMed] [CrossRef] [Google Scholar]
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(6) ) (Kingdon D, Cardoso C, McGrath JJ , Research Review: Executive function deficits in fetal alcohol spectrum disorders and attention-deficit/hyperactivity disorder - a meta-analysis. J Child Psychol Psychiatry. 2016 Feb; 57(2):116-31.)
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Sources :
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Vorgias D, Bernstein B. Fetal Alcohol Syndrome. [Updated 2021 Jul 26]. In: StatPearls [Internet]. Treasure Island (FL): StatPearls Publishing; 2021 Jan-. Available from: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK448178/
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Société Française d’Alcoologie