Alcooliques Anonymes : données récentes
Le mouvement des Alcooliques Anonymes (AA) , fondé aux Etats-Unis en 1935, est une organisation d’entraide anonyme et gratuite composées de consommateurs d’alcool qui souhaitent aboutir à une guérison. Comprenant plus de 2 millions de membres répartis dans plus de 150 pays, les AA représentent le groupe d’entraide le plus important au monde [1]. Cette organisation se fonde principalement sur trois composantes : un système de valeur, un programme d’action en 12 étapes et une fraternité de soutien [2].
Devant l’engouement que suscite les AA et le succès que remportent les dizaines de milliers de groupes qui oeuvrent à travers le monde, des recherches scientifiques portant sur différents aspects propres aux AA ont vu le jour ces dernières années. Des études se sont notamment penchées sur les mécanismes d’action sous-jacents au programme en 12 étapes qui représente la pierre angulaire du traitement de l’addiction aux Etats-Unis depuis plus de 70 ans et le moyen promu par les AA pour permettre à ses membres de se libérer de l’alcoolisme et de connaître une abstinence durable.
Pour en savoir plus ... Les 12 étapes |
Les avancées dans la compréhension des neurosciences de l’addiction ont permis l’identification de deux aires cérébrales qui, parmi d’autres, expliquent le comportement irrationnel et auto-destructeur des alcooliques. D’une part, l’alcool détourne et usurpe, à travers la libération de dopamine, le système de récompense (situé dans le mésencéphale et chargé de détecter et d’expérimenter le plaisir) par le biais d’une stimulation agréable qui dépasse de loin les plaisirs normaux de la vie (tels que ceux de manger, de boire ou de se reproduire). D’autre part, sous l’effet de l’alcool, le cortex préfrontal devient hypoactif et incapable de contrer la forte pression du système de récompense à répéter constamment la sensation de plaisir qui provient de la consommation d’alcool. L’exigence du système de récompense, qui incite les alcooliques à recourir à des substances intoxicantes, entraîne le développement de comportements inadaptés (mentir, tricher, voler, manipuler, être égoïste, etc.). Ces comportements inadaptés représentent des symptômes de l’addiction et non pas des défauts de personnalité intrinsèques. Ils sont « utiles » pour répondre à la demande par le système de récompense de répéter ce qui est agréable, dans la mesure où ces comportements augmentent les chances qu’un alcoolique puisse consommer de l’alcool.
Une étude très récente avance que le programme en 12 étapes suivi par les AA contribue à inverser ces effets [1]. En raison de l’hypoactivité du cortex préfrontal entraînée par l’alcool, les alcooliques sont incapables d’utiliser la logique et la raison pour se sortir de leur addiction. Les trois premières étapes du programme ont l’avantage d’encourager l’utilisation d’un « preneur de décisions de remplacement ». Elles insistent en effet sur le fait que l’alcoolique ne peut se sortir seul de son addiction et qu’il lui faut recourir à une instance plus puissante, qu’il s’agisse de Dieu (tel qu’il le conçoit) ou du groupe des AA lui-même. Par ailleurs, les étapes 4 à 10 du programme, ainsi que l’étape 12, encouragent la pratique de comportements tels que l’honnêteté et l’altruisme compensant les attitudes inadaptées que peut connaître l’alcoolique. Cette « compensation comportementale » est une forme de remédiation qui désarme le système de récompense et le prive des outils (comportements inadaptés) nécessaires à la promotion de l’usage de substances toxiques. Quant à l’étape 11, elle promeut la prière et la méditation, activités qui entraînent l’augmentation du flux sanguin dans les lobes frontaux et contribuent à diminuer l’hypoactivité des lobes frontaux induite par l’alcool. Selon le modèle proposé, il existerait donc une cohérence entre les étapes du programme des AA et ce que nous savons de la neurobiologie du cerveau intoxiqué par l’alcool.
Une autre étude récente soutient que le programme en 12 étapes des AA fonctionne parce que ces dernières induisent des émotions positives chez le consommateur d’alcool [3]. En effet, les trois premières étapes du programme impliquent le fait de se tourner vers une personne de confiance, ce qui conduit à ressentir l’émotion positive d’attachement. Les deux dernières étapes incitent à la transmission et au partage, conduisant vers l’émotion positive de joie. Les études utilisant des techniques d’imagerie cérébrale permettent de mettre en évidence que l’attachement sécure, tout autant que l’addiction, sont étroitement liés à une réduction de l’activité de l’amygdale, noyau impliqué dans le comportement associé à la peur et à l’anxiété, ainsi qu’à une augmentation de l’activité des noyaux accumbens, structures neuronales jouant un rôle important dans le système de récompense. De la même manière, la joie stimule également ces structures. Les émotions positives d’attachement et de joie induites par le programme en étapes promu par les AA sont donc susceptibles de se substituer efficacement à l’alcool dans la mesure où elles agissent sur les mêmes structures cérébrales que celui-ci.
Selon la philosophie des AA, la rémission est un processus de changement qui s’insère plus largement dans un projet de vie, le participant étant amené à cheminer progressivement vers l’expérience d’une paix intérieure, d’un sentiment de bonheur et l’atteinte d’une joie de vivre. Etant donné l’importance accordée à l’amélioration de la qualité de vie comme facteur intrinsèque à la rémission, une étude québécoise s’est penchée sur la qualité de vie des membres AA abstinents depuis une longue période de temps et les liens existants entre leur implication dans le mouvement et l’expérience de bien-être [4]. Les résultats de l’étude montrent que les membres AA rapportent généralement un niveau élevé de bien-être psychologique, un engagement dans la fraternité et une adhésion aux principes des 12 étapes. La socialisation avec les membres a un effet significatif et important sur le sentiment de bonheur et de satisfaction dans la vie, alors que l’application des étapes de maintien tend à influencer positivement le degré de satisfaction dans la vie et le sens donné à la vie grâce à l’expérience positive de l’abstinence. Les membres abstinents depuis une longue période rapportent être heureux, satisfaits dans la vie et donner un sens à leur vie. La relation d’entraide qui se développe dans la fraternité et l’expérience de donner et de recevoir de l’aide contribuent de façon significative à ce bien-être psychologique. De façon générale, ces différents résultats appuient l’idée que le rétablissement impliquerait un processus plutôt qu’un état stable.
La philosophie des AA repose largement sur l’entraide dans la mesure où les ex-alcooliques et les alcooliques en rémission partagent des expériences, fournissent un soutien émotionnel et agissent comme mentors pour les alcooliques nouvellement intégrés. Une étude indienne s’est intéressée à l’effet de l’implication dans les groupes d’entraide sur le niveau de dépression, de soutien social fonctionnel et d’anxiété [5]. Les résultats montrent un impact significatif du groupe d’entraide sur toutes ces dimensions. En contraste avec les pensionnaires d’un centre de désintoxication, les individus impliqués dans un groupe d’entraide présentent un niveau de dépression plus faible, un soutien social fonctionnel plus important et un niveau d’anxiété plus important également, celui-ci étant lié à l’appréhension qu’entraîne le fait d’avoir à se rendre responsable de sa vie et de celle des autres. Les groupes d’entraide fournissent à leurs utilisateurs un réseau social d’individus confrontés à des problèmes et expériences similaires, étant donné que la plupart des individus sont susceptibles d’être isolés de la société en raison de la stigmatisation sociale liée à leur addiction. La transition entre recevoir de l’aide et devenir un aidant permet aux alcooliques en rémission de construire leur confiance en eux et le sentiment d’être désiré dans la société, ce qui favorise une estime de soi positive.
(Auteur : Felicia Schmid, octobre 2015)
Références
- Giuffra, L. A. (2015). A proposed mechanism of action for the Twelve steps of Alcoholics Anonymous. Revista de Neuropsiquiatría, 78(1), 30-34.
- Borkman, T. (2008). The Twelve-Step recovery model of AA : a volunary mutual help association. In Galanter, M. & Kaskutas, L.A. (Eds.), Recent developments in acoholism : vol. 18. Research on Alcoholics Anonymous and spirituality in addiction recovery (pp. 209-227). New York : Springer.
- Vaillant, G. E. (2014). Positive emotions and the success of Alcoholics Anonymous. Alcoholism Treatment Quarterly, 32(2-3), 214-224.
- Kairouz, S., & Fortin, M. (2013). L’engagement dans le mouvement des AA : un gage de bonheur. Drogues, santé et société, 12(1), 19-40.
- Priyadarshini Das, P. P. (2012). Role of self-help groups in substance addiction recovery. International Journal of Advancements in Research & Technology, 1(6).